Leur plaire : du handicap... à la séduction, par Inès Chometon

Publié le 30 juillet 2024 à 19:43

 

La découverte de la simplicité authentique dans le regard de l’autre peut témoigner d’un naturel qui, parfois, nous a été retiré à l’usure.

 

L’amour, la séduction. Voici deux notions victimes de l’affreuse banalisation du regard social, et de comédies romantiques nous plaçant aux guichets des idéaux. Violemment instrumentalisées dans un esprit normatif trop-bien-réglé, elles se retrouvent au cœur des représentations du mythe du coup de foudre, des destins maritaux devenus conservateurs et des physiques types, vendeurs, attirant l’œil et exposés dans un esprit presque publicitaire. Des représentations dont la tendance à exclure celui qui dévie s’impose, telle une prompte et évidente formalité.

 

Des représentations normalisant même, parfois, nos propres idéaux.

 

Car, formatée au captif, aux contraintes et à l’intransigeance physique, il en devient quasiment naturel pour une personne de silencieusement remarquer la sensualité de l’adresse, qui rend le corps intègre.

Et dire qu’il est difficile de ne pas rêver devant celui dont le corps ne peut travestir le geste, de ne pas cultiver un instinct de contemplation devant la norme du capable est un bien mince euphémisme.

 

Tant de contradictions peuvent nous frapper en pleine évidence lorsque la séduction vient à nous, car oui, il peut arriver de se sentir séduit. Comment est-ce envisageable que la moindre chose échappe à toutes ces personnes prises dans la pleine fleur de leur validité ? Comment de telles possibilités, de telles aptitudes, peuvent-elles être trahies par les circonstances de la vie barrant leur chemin ? Comment ne pas finir par développer par automatisme une certaine culture de la domination et du pouvoir aux rênes d’un outil aussi maniable ? Comment font-ils pour préserver leur honnêteté et par-dessus tout leur humilité face à une aussi large possibilité de répercussions sur le monde qui les entoure ?

 

Une telle rencontre entre les abysses de l’enchainement et le sommet de l’aptitude met en lumière un jeu de clair-obscur flagrant entre la complémentarité des différences. Une rencontre à la fois légère et regorgeant de secrets enfouis, camouflant un dialogue tout à fait naturel qui espère une détonante révélation. Mais dis-moi donc, quel est le mystère de ce pouvoir propre à te mener par une voie unique à tes moindres désirs ? Quel sentiment de domination sur le monde cette pleine conscience pourrait-elle éveiller en toi ? Penses-tu pouvoir, dans ta plus grande bonté, transmettre un peu de cette lucidité nouvelle à un alter qui la réclame ?

 

Souvent, nous passons entre les mailles du filet. Mais parfois, il peut nous arriver de comprendre. Comprendre que, non seulement, nous pouvons plaire mais en plus… oui. Oui, nous sommes désirables, éligibles à la séduction. Éligibles à recevoir ce sourire qui ne semble pas mentir sous le mépris. A contempler un corps qui semble prêt à nous accueillir en ne connaissant pas tout, en ne demandant pas pourquoi, comment, quoi dire, quoi faire, mais en saisissant, en saisissant dans l’instant que nous saignons. Éligibles à un regard qui jamais, ne juge ou n’extrapole, et qui pourtant, ne saisit pas tout non plus. A un regard qui efface, qui efface ce pourquoi qui nous tétanise, nous meurtrit, nous détruit de l’intérieur par la magie d’une bienveillance nouvelle. Éligibles à être regardés, éligibles devant l’attrait pudiquement gardé sous silence qui rend certaines situations d’un charme inégalable. Éligibles à cette sensualité lorsque quelqu’un qui la partage, finit par la reconnaître en nous, et par l’exploiter. Éligibles à se sentir beaux ou belles, tout simplement, lorsque l’autre nous regarde.

 

Les vertus de la séduction tiennent parfois aussi à nous renvoyer une image nouvelle de nous-même, et d’un corps partiellement déformé. Elles peuvent nous donner cette envie d’arborer un physique sublimement désirable et suffisant à raffiner l’esthétisme chevaleresque d’autrui. Cette envie que l’assemblage de deux apparences finisse par frapper les regards curieux par l’évidence de la contemplation.

 

 

La séduction nous est à tous présentée comme un mythe, un terrain où le fantasme ne peut contenir un paramètre non-conforme à la perfection. Mais il faut l’avoir vécu pour pouvoir le nier. Car oui, la séduction est à portée de tous, de celui qui la cultive comme de celui qui la découvre. La séduction est même un droit, découlant de celui de pénétrer dans l’espace public, découlant du droit à l’autodétermination, à l’intégrité physique, à la sexualité, au plaisir et au bien-être. Elle semble impossible à concevoir dans l’esprit collectif en présence de celui dont le corps ne se conforme pas et finit trop vite par nous être inaccessible. Inaccessible parce que le commun refuse parfois de nous regarder comme un être désirable en omettant de nous dissocier de notre différence. Inaccessible parce que chacun de nous grandit avec le mythe du prince charmant en oubliant que tout le monde est sensé avoir le droit de plaire et de connaître le plaisir de se sentir séduit, valorisé et flatté dans son orgueil. La séduction tient du droit de se découvrir soi-même, de découvrir ses désirs et de pouvoir les mettre à profit. Car non, nous ne sommes pas des robots asexués mais des êtres vulnérables devant le regard de l’autre, qui souvent nous omet, mais qui peut aussi, quelques fois nous remarquer dans notre nature humaine. Et lorsque notre handicap est lourd, imposant ou tape-à-l’œil, nous en devenons des êtres inenvisageables. L’insolite de la situation où nous sommes simplement, un jour, regardés par autrui avec considération pour notre personne et nos charmes, ne dépeint-il pas toute l’intransigeance du regard social ?

 

 

 

Ceci est un texte-ressource dans le cadre de formations ciblées "Handicaps physiques et sexualité" prodiguées par Mme Catherine AGTHE DISERENS, formatrice suisse.
Ses formations en santé sexuelle (par ailleurs destinées à tous types de handicaps) intitulées « DU CŒUR AU CORPS » ont obtenu le Prix Suisse de Pédagogie Curative et Spécialisée. Elles se déclinent depuis une trentaine d'années en Suisse, France et Belgique.
Catherine AGTHE DISERENS est sexo-pédagogue spécialisée (enfants, ados, adultes) : https://catherineagthe.ch

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