Manifeste en faveur de l’assistance sexuelle : Pour la liberté individuelle des personnes handicapées (pt. 2)

Publié le 27 juin 2024 à 22:34

2/  Assistance sexuelle : Libération individuelle et rupture des stéréotypes

 

1) Assistance sexuelle vs proxénétisme : Briser le silence sur l'isolement des personnes handicapées

 

"La mise en relation de la personne handicapée avec l'assistant constitue un acte de prostitution. Mais qui se préoccupe de l'isolement de ces personnes ?!"

 

 

Si l’assistance sexuelle est sujette à de vifs débats sur le plan moral ou juridique, c’est d’abord et avant tout en raison des multiples points de similitude qu’elle comporte avec les pratiques visant à la prostitution.

 

En effet, la simple mise en relation de la personne handicapée avec l’aidant sexuel peut être constitutive de proxénétisme et la reconnaissance sur le plan légal de cette activité nécessiterait un aménagement des lois sur la prostitution. Par ailleurs, les textes actuels et la prohibition du proxénétisme laissent planer l’éventualité que les personnes handicapées ayant recours à des services d’assistance sexuelle puissent faire l’objet de poursuites sur le plan pénal. Notons également que la pénalisation de la tolérance par une personne du fait que soient pratiquées des activités d’assistance sexuelle dans l’enceinte de son établissement est constitutive d’une grave ingérence au respect de la vie privée de la personne handicapée et au respect de son autonomie personnelle. Il convient de rappeler les situations de précarité économique extrême et de dépendance auxquelles ces personnes sont exposées, souvent contraints de rester au domicile familial ou de vivre en institution. A ce titre, le fait de criminaliser une attitude visant à louer une chambre d’hôtel pour permettre la pratique des activités d’assistance sexuelle est une violation gravissime de l’ensemble de leurs droits !

 

Sur le plan éthique et moral, l’assistance sexuelle s’expose à la question délicate de la marchandisation du corps humain. C’est en effet le fondement donné par application des lois relatives aux droits de l’homme à la prohibition de la prostitution. Par respect d’un principe « d’indisponibilité » du corps humain, celui-ci ne peut faire l’objet d’aucune transaction à caractère financier.

 

Au regard de la vision du corps humain m’ayant été inculquée par mon propre handicap et par ma situation d’extrême dépendance physique, soyez bien assurés de ma sensibilité à des arguments d’une telle nature. Il est vrai, au nom du droit français et dans une simple logique de protection des atteintes pouvant lui être portées, le corps humain ne peut se vendre, se louer, et se veut soumis au principe d’inviolabilité.

 

Néanmoins…

 

La comparaison de l’assistance sexuelle à la pratique de la prostitution est-elle véritablement fondée et légitime au regard de l’ensemble des questions de santé et d’accessibilité posées par le handicap, et au regard de la surexposition des personnes handicapées à l’isolement ?

Est-ce véritablement là l’origine du débat ?

 

S’il n’est à l’évidence pas contestable que plusieurs questions éthiques se posent quant au principe d’indisponibilité, il est important de préciser que tout principe, en matière juridique, comporte ses limites et ses exceptions. Ainsi, si le corps est par principe hors du commerce juridique, la loi autorise néanmoins et dans un intérêt thérapeutique certaines pratiques telles que le don d’organes (à titre gratuit).

 

Dès lors, se pose dans le cas de l’assistance sexuelle la question de la non-gratuité en raison de l’assimilation de la pratique à un service méritant contrepartie. Si celle-ci est, par évidence, de nature à soulever des questions éthiques et morales, n’est-il pas légitime de considérer la nécessité d’amélioration du bien-être physique, mental et sexuel et cette réponse à l’isolement des personnes handicapées comme une limite justifiée au principe d’indisponibilité ?

 

 

En  considération de l’ensemble de ces éléments, il semble pour moi à la fois possible et fondamental d’effectuer une distinction entre assistance sexuelle et prostitution. En effet, l’assistance sexuelle s’adresse à des personnes privées de la maitrise de leurs corps ou d’une partie de celui-ci, de la maitrise de leurs mouvements et qui, par conséquent, connaissent certaines entraves à l’accès au plaisir. Elle  leur permettra donc un apprentissage à la découverte physique à travers le contact sensuel, érotique et/ou sexuel avec l’autre.

 

2) Assistance sexuelle vs aumône : Préserver notre intégrité mentale à tout prix

 

"La bienpensance compare l'assistance sexuelle à une aumône, ou bien un danger en raison de notre prétendue faiblesse. Mais quid de la reconnaissance de notre capacité de choisir? Pour moi, elle est un moyen formidable de bénéficier d'un droit à l'intimité, à la sexualité et à l'épanouissement !"

La lutte en faveur de l’assistance sexuelle s’inscrit à mes yeux dans celles à mener dans la revendication de notre indépendance, de notre intégrité, de notre capacité à faire des choix.

 

Pourtant, et à mon grand étonnement, un tel avis ne semble pas partagé par l’ensemble de ma communauté, dont certains membres assimilent cette pratique à une « aumône » rabaissante et donnant une image fragile du handicap. Pour reprendre les termes employés par une jeune femme dans un courriel des lecteurs datant de 2011 (revue Ombres et Lumières), l’assistance sexuelle serait alors une « discrimination de plus » à l’encontre des personnes handicapées et une technique transactionnelle, contractualisante.

 

De plus, l’assistance sexuelle se heurte également aux boucliers de la bienpensance. En effet, pour certains, un accent particulier devrait être mis sur une nécessité de protection de la personne en situation de handicap présupposée « plus faible » afin d’éviter à celle-ci tout risque de déception affective. En effet, dans toute l’hypocrisie que révèlent de tels modes de pensée, ces mêmes personnes nous assimilent à des êtres ou trop romantiques pour qui le prince charmant pourra tout résoudre, ou dénués de désirs et en simple quête de tendresse.

 

Pardonnez-moi l’expression, mais les personnes avançant de telles foutaises ne seraient-elles pas les premières à souffrir d’un léger problème d’estime personnelle ?

Où se trouve véritablement, la stigmatisation ?!

 

Permettez-moi de riposter et de clamer combien je trouve ces arguments insensés et honteux. Oui, il est honteux de remettre en cause l’intégrité et la capacité de choix des personnes handicapées ayant recours à l’assistance sexuelle laquelle est une activité se pratiquant entre adultes consentants dans un respect du professionnalisme. Oui, il est honteux de déduire de ce choix personnel, intime et courageux l’aveu de notre éventuelle faiblesse d’esprit ou de notre fragilité. De telles réflexions me semblent non seulement stigmatisantes envers les personnes handicapées ayant recours à ces pratiques mais aussi et tout autant envers les professionnels qui l’exercent, et rendant par ce biais un service psycho-social en favorisant l’épanouissement personnel. Nous pouvons donc voir là une véritable fonction d’aide à autrui, fonction supplétive visant à donner, favoriser l’autonomie dans un domaine important de la vie, permettant aux personnes de vivre une relation intime, significative et érotique et de leur transmettre une sensation corporelle positive. Cette forme d’assistance représente donc pour moi un moyen d’assumer notre indépendance et de promouvoir notre accès à la liberté et à l’intégrité physique et mentale. Elle est également une porte ouvrant le chemin vers le droit à la libre disposition de soi, au respect des orientations sexuelles et individuelles, au contact, à la satisfaction et au plaisir et vers le droit à l’autodétermination. L’assistance sexuelle représente dès lors un moyen d’exercer notre droit à l’autonomie, notre capacité de réaliser nos désirs y compris sur le plan affectif, relationnel et sexuel en tenant compte de nos contraintes physiques. Comme nous l’entendons souvent, derrière l’enveloppe corporelle du handicap se cachent des êtres de chair et d’os, dotés d’une personnalité, d’opinions, de convictions, bien entendu, mais il ne faut pas oublier de préciser que nous sommes avant tout des êtres sexués, guidés par des besoins, par des envies et des passions. Par conséquent, je me sens également amenée à évoquer le fait que refuser d’octroyer à l’assistance sexuelle un statut légal revient pour moi à nier totalement notre condition d’homme ou de femme. Car permettez-moi de vous dire en toute connaissance de cause que le handicap, s’il est loin de se trouver au cœur des priorités d’inclusion, est néanmoins le terrain favori des moralisateurs et des donneurs de leçons ! Peut-être serait-il venu le temps des remises en question. Ne pensez-vous pas que nous ne sommes pas les premiers, confrontés à ces choix, à avoir des cas de conscience ? Là n’est pas question de nier notre possibilité d’entretenir des relations amoureuses ou intimes dans des schémas plus traditionnels. Mais il existe une réalité autre qui serait pour moi indispensable d’intégrer dans les consciences une bonne fois pour toutes : l’accès à la société notamment pour les personnes atteintes de grands handicaps, n’est pas facile. Selon votre degré de handicap ou la manière dont celui-ci est perçu, la voie vers la sociabilité et donc vers la relation intime peut devenir plus complexe. Si bien évidemment, nous ne pouvons pas établir une échelle de la souffrance, je suis bien désolée de le dire, mais il existe bel et bien une échelle de la dépendance, et donc de la privation.

N’oublions pas qu’il existe aussi des personnes plus ou moins marginalisées selon leur situation. Que diriez-vous à des jeunes adultes vivant dans des centres et pour lesquels l’intégration au monde valide se veut plus complexe ? Je ne nie pas la nécessité primordiale de sensibiliser les grands pouvoirs à l’accessibilité pour que chacun puisse s’insérer. Néanmoins, laissez-moi tout de même vous rappeler que le processus d’application des lois se veut lent et progressif et que notre inclusion dans l’espace public dépend en grande partie de celui-ci, en particulier pour tout ce qui a trait à l’intime. Que faisons-nous durant ce laps de temps sur lequel nous ne bénéficions d’aucun contrôle avant qu’il ne s’écoule ? Devons-nous véritablement voir une possibilité d’accès à notre sexualité entravée par toutes vos états d’âme ?

 

 

De plus…

 

Dans le cadre d’un post publié par mes soins sur les réseaux sociaux de l’association visant à promouvoir l’assistance sexuelle, celui-ci a fait l’objet d’un commentaire, qui, pour moi, revêtait d’un caractère honteux, discriminatoire et stigmatisant, et dont les propos allaient totalement à l’encontre des valeurs portées par notre société.

En effet, une personne, visiblement scandalisée par l’évocation de ce sujet, m’a lancé avec rage que les pratiques d’assistance sexuelle équivalaient à du viol.

Et pardonnez-moi, mais cette remarque provoqua en moi une profonde colère.

Parce qu’assimiler l’assistance sexuelle à un viol équivaut pour moi à dénier toute capacité aux personnes handicapées de consentir à une relation intime ou sexuelle.

Parce qu’assimiler l’assistance sexuelle à un viol est une atteinte très grave portée à la reconnaissance de notre capacité à effectuer des choix intègres et réfléchis sur un terrain qui ne regarde nulle autre que nous.

Parce qu’assimiler l’assistance sexuelle à un viol est une atteinte portée au métier des assistants qui mérite à mon sens la plus grande reconnaissance et un immense respect.

Parce qu’assimiler l’assistance sexuelle à un viol constitue une enfreinte très grave à notre liberté première en tant qu’être humain, celle de disposer de nous-mêmes.

 

Alors, pardonnez-moi, mais avant de porter des jugements de valeur et de stigmatiser une communauté toute entière en raison de ses choix intimes et personnels, laissez-moi vous poser une question.

 

Avez-vous bien conscience de ce qu’est une démocratie ?

 

 

Conclusion

 

En conclusion, la question de la légalisation de l’assistance sexuelle en faveur des personnes en situation de handicap touche à une pluralité d’enjeux complexes et multidimensionnels : droits fondamentaux, éthique et législations. Dans un tel esprit, la lutte et l’injonction à agir pour le développement du droit à une vie affective, relationnelle et sexuelle épanouie, se veut d’une importance fondamentale.

Le cadre législatif actuel en France, assimilant assistance sexuelle et prostitution, constitue une discrimination tout à fait gravissime à l’encontre de ces personnes, les privant d’un moyen légitime d’épanouissement personnel. Cette situation est d’autant plus en contradiction flagrante avec l’intégralité des principes établis par les conventions internationales, oeuvrant en faveur du respect de la dignité, de l’autonomie et de l’égalité de traitement.

Il devient donc urgent de dépasser stéréotypes et préjugés entourant la notion d’assistance sexuelle, de mettre un terme aux discours moralisateurs et d’instaurer un encadrement spécifique sous l’angle de la protection et de la promotion des libertés individuelles des personnes handicapées. En effet, l’assistance sexuelle peut constituer une réponse adaptée et éthique à l’isolement ou aux difficultés relationnelles rencontrées par celles-ci, leur offrant un moyen d’exercer leur droit à l’autodétermination et de vivre pleinement leur sexualité dans le respect d’un cadre sécuritaire.

En somme, il semble plus qu’opportun d’ouvrir un débat constructif et éclairé sur la légalisation de l’assistance sexuelle, en tenant compte des besoins réels des personnes handicapées et en appliquant de manière stricte leurs droits fondamentaux. La reconnaissance légale de cette pratique, assortie de garde-fous éthiques et professionnels, permettrait de renforcer l’autonomie, la dignité et l’épanouissement de ces personnes, tout en respectant les principes d’égalité et de non-discrimination régissant notre société.

 

Ajouter un commentaire

Commentaires

Il n'y a pas encore de commentaire.