La possibilité de légalisation par les pouvoirs publics des services visant à promouvoir une assistance à la sexualité des personnes en situation de mobilité réduite est une question sensible et sujette à de nombreuses controverses. Une question sur laquelle, parce qu’elle touche aux libertés les plus fondamentales de l’être humain, à un accès équitable pour tous à la santé et à l’autonomie individuelle, il me parait important de me positionner.
Je souhaitais également et dans un sentiment de profonde humilité, avoir la possibilité de donner un avis opposé aux arguments des réfractaires de cette pratique, et en application de mon propre droit à la liberté d’expression, faire part du virulent heurt que m’ont provoqué certaines réactions à des publications postées par mes soins sur les réseaux sociaux de l’association visant à sensibiliser le public aux questions posées par l’assistance sexuelle.
En effet, un commentaire en particulier de la part d’une personne appartenant à l’opposition, assimilant l’assistance sexuelle à un « viol » commis sur une personne handicapée, m’a profondément choqué.
Il m’apparait donc clair et fondamental qu’une immense responsabilité incombe aux acteurs associatifs dans la défense des droits subjectifs et individuels des personnes handicapées et de leur accès à des dispositifs encadrés visant à bénéficier d’une jouissance complète et sans entraves de ces derniers.
A l’instar de la liberté d’opinion, du droit de se marier, du droit au respect de la vie privée, et du respect de l’autonomie décisionnelle consacrés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en 1948, le droit des personnes handicapées à la santé et à la non-discrimination, et par conséquent à l’entretien d’une vie affective, relationnelle et sexuelle, est reconnu comme un droit fondamental par la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l'Organisation des Nations Unies promulguée en 2006.
Par conséquent et dans un simple respect des principes garantis par nos législations internationales, je souhaite contribuer à défendre la mise en place de dispositifs et garde-fous légaux visant à promouvoir le droit pour les personnes handicapées de recourir à l’assistance sexuelle.
I. Assistance sexuelle : Bouclier de dignité ou nouvelle exploitation ?
1. Assistance sexuelle en France : Que dit la loi aujourd'hui ?
" L'assistance sexuelle est une forme de prostitution, permise à celui qui offre le service mais interdite au client. Ce dernier pourra être sanctionné pénalement ! "
En matière légale, le droit français assimile l’assistance sexuelle à une forme de prostitution. Cette dernière, qui fut historiquement banalisée, réprimée, tolérée, puis encadrée par des textes juridiques particuliers, ne fait l’objet d’aucune définition par la loi. Il faut alors se tourner vers la jurisprudence de la Cour de cassation, caractérisant celle-ci comme le fait de « se prêter, moyennant rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire des besoins sexuels » (Cass, crim, 27 mars 1996, pourvoi n°95-82.016, Bull. crim. 1996 n°138).
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? En France, l’offre d’assistance sexuelle est considérée comme une forme de prostitution donc une activité licite et légale. Autrement dit, celui qui propose une offre d’assistance sexuelle ne pourra faire l’objet d’aucune sanction sur le plan pénal. En revanche, le fait de recourir à l’assistance sexuelle, est de son côté bien assimilé à un acte illégal et sanctionné par l’article 611-1 du Code pénal. En vertu de ce texte, sera puni d’une amende de 1 500 € « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage ». Si, d’un côté, l’assistant ne se livre pas à des actes réprimandés par la loi, le client, lui, pourra faire l’objet de poursuites. En effet, ce dernier est également sujet à encourir plusieurs peines complémentaires prévues à l’article 131-16 du Code pénal (il devra participer notamment à un stage de sensibilisation à la lutte contre l’achat d’actes sexuels et effectuer un travail d’intérêt général). En cas de récidive, le fait d’avoir recours à la prostitution ou l’assistance sexuelle est constitutif d’un délit puni d’une amende de 3 700 €.
Par ailleurs, l’arsenal juridique répressif ne s’arrête pas là et qualifie également de délit de proxénétisme l’action de mise en relation de l’offre et de la demande d’assistance sexuelle, en application de l’article 225-6 du Code pénal. Les familles et/ou professionnels ayant participé à la mise en relation entre personnes handicapées et assistants sexuels risquent donc 7 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende en absence de circonstances aggravantes (art. 225-5 C. pénal).
Enfin, le législateur prévoit également l’assimilation de certains comportements au proxénétisme comme le fait de tolérer au sein d’une institution des actes prostitutionnels. Un tel comportement sera puni de 10 ans d’emprisonnement et de 750 000 € d’amende en vertu de l’article 225-10 du Code pénal.
2. Assistance sexuelle : Un combat pour nos libertés fondamentales
"Pourtant, les libertés fondamentales protègent la libre disposition du corps humain, le droit à la santé sexuelle et l'autonomie décisionnelle des personnes handicapées !"
Si, comme nous l’avons vu, le fait, pour une personne en situation de handicap de solliciter ou d’accepter tout service de nature sexuelle contre versement d’une rémunération constitue une atteinte portée à la loi pénale, cette même personne dispose pourtant, dans le strict respect des textes internationaux, de plusieurs libertés fondamentales sensées œuvrer en faveur du principe de libre disposition du corps humain. En effet, l’article 25 de la Convention des Nations Unies traitant du droit à la santé des personne handicapées et prônant le respect du principe de non-discrimination, consacre en faveur de ces dernières le droit de jouir du meilleur état de santé possible et impose aux Etats membres la fourniture à destination de celles-ci de services de santé sexuelle.
Par ailleurs, la Convention impose également une obligation d’accessibilité des services de santé, y compris de santé sexuelle.
De plus, si la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, consacrée en 1948, est reconnue pour sa simple portée symbolique et non contraignante, celle-ci rappelle expressément le principe d’égalité de tous les êtres humains, leur rattachement à la notion de dignité, leur soumission au droit à la vie, à la liberté et à la sûreté. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), a, de son côté, défini dès 1972 les notions de santé sexuelle et de sexualité en référant ces dernières au respect des orientations sexuelles et individuelles, au besoin et au désir de relations interpersonnelles, de contact, d’amour, de satisfaction et de plaisir, dans et hors mariage Par ailleurs, selon l’Organisation, la santé est assimilable à un état complet de bien-être, physique, mental et social, ne se réduisant pas à l’absence de maladie ou d’infirmité. Poursuivant ce raisonnement, l’Association mondiale pour la santé (World Association for Sexual Health, WAS) définit les droits sexuels en référence aux droits humains universels.
En matière de santé, et de sexualité qui en constitue une partie intégrante, plusieurs principes éthiques fondamentaux sont pleinement reconnus aux personnes en situation de handicap. Premièrement, le respect de l’autonomie décisionnelle et de la capacité à assumer leurs choix. Deuxièmement, la bienfaisance ou le souci pour les professionnels de guérir, soulager, prévenir, assister ou accompagner. Troisièmement, la non-malfaisance autrement dit le fait d’éviter de nuire par des traitements ou des défauts de traitement. Quatrièmement, l’équité et la justice consistant à apporter aux individus l’ensemble des soins requis par leur état de santé.
Dès lors, en portant une vue d’ensemble des enjeux juridiques, la réflexion autour de la légalisation de l’assistance sexuelle semble se poser autour de deux questions majeures : la mise en comparaison avec toute la réglementation établie autour du proxénétisme, et la prise en compte des libertés fondamentales de l’être humain en matière sexuelle.
Si nombre d’éléments de réponses nécessitent à l’évidence la prise en considération du point de vue moraliste de la marchandisation du corps humain, je trouve également essentiel de tenir compte de la situation de dépendance physique impliquée par le handicap, mesurable à divers degrés selon les types, ainsi que du droit à compensation de celui-ci consacré par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, et défini en ces termes « La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie.
« Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu'il s'agisse de l'accueil de la petite enfance, de la scolarité, […] et de sa capacité d'autonomie, du développement ou de l'aménagement de l'offre de service […] ».
Ainsi, en considération de l’ensemble des textes fondamentaux reconnaissant à la fois un principe d’égalité de traitement devant la loi, mais aussi un droit pour toute personne d’avoir accès à une santé sexuelle satisfaisante et de qualité, il est pour moi tout à fait légitime et d’une nécessité indiscutable de défendre la pertinence d’une autorisation et d’un encadrement de l’assistance sexuelle sur le plan légal. De plus, aux vues des éléments de définition du droit à compensation lequel consiste à répondre aux besoins d’une personne limitée dans sa capacité d’autonomie, la prise en compte au sein de celle-ci des besoins en matière sexuelle me semble plus que justifiée.
Je me permets également de rappeler que les seuls cas de limitations de l’exercice des libertés fondamentales prévus par le législateur relèvent simplement d’une entrave portée par celles-ci à l’ordre public. A ce titre et au nom des nombreuses libertés consacrées par nos législations majeures, le fait de permettre aux personnes en situation de handicap de recourir à des services d’assistance sexuelle me semble entièrement inscrit dans la poursuite de l’application de nos droits à l’autodétermination ainsi qu’à la libre disposition de nous-mêmes.
Le droit de recours des personnes handicapées à l’assistance sexuelle est donc pour moi entièrement inscrit dans l’intégralité des valeurs d’égalité portées par notre société et même indispensable à leur poursuite.
3. Assistance sexuelle : Protection de nos droits et garante d'égalité
"Le handicap lourd peut toucher à l'image de la personne handicapée et à sa capacité de contrôler comment elle se présente au monde. Cela l'expose à certains dangers et à une inégalité d'accéder à la rencontre avec les moyens de son temps. De plus, le manque d'accessibilité limite les opportunités de rencontres"
Par ailleurs, la légalisation de la pratique de l’assistance sexuelle, en plus de connaître une cohérence certaine avec les principes fondamentaux du droit à la santé, me semble constituer une réponse pertinente et de qualité notamment à destination des personnes subissant des handicaps lourds pouvant rencontrer certaines entraves à la menée d’une vie amoureuse ou sexuelle épanouie.
Tout en rappelant la nécessité absolument fondamentale et l’obligation incombant aux pouvoirs publics de parvenir à une stricte application des lois d’accessibilité dans le but de permettre aux personnes handicapées de connaître la meilleure insertion sociale envisageable, je voudrais également sensibiliser chacun sur la difficulté notamment dans le milieu de la jeunesse de s’insérer sur le terrain de la séduction dès lors que l’importance des limitations physiques d’une personne représente une entrave au contrôle que celle-ci peut exercer sur l’image qu’elle renvoie, sur la manière dont elle se présente au monde et par conséquent, à autrui. Par ailleurs, l’échec cuisant des pouvoirs politiques de procéder à une application stricte et juste de la loi du 11 février 2005 et notamment à la mise en accessibilité des bâtiments publics et de la voirie constitue une discrimination tout à fait inadmissible à destination des personnes et une limitation à leurs possibilités d’effectuer des rencontres. Cette réalité semble d’autant plus pertinente du fait qu’il soit reconnu comme une vérité d’ordre sociologique que les lieux de rencontres les plus fréquents en matière amoureuse sont statistiquement les lieux publics.
Si l’essence même de nos lois et des actions associatives est de sensibiliser l’ensemble du public aux problématiques rencontrées par les personnes et s’il n’est pas de ma volonté de d’assimiler la communauté du handicap à une quelconque image de faiblesse, je tiens néanmoins à rappeler que le fait d’être confronté à des limitations physiques et à une dépendance d’ampleur augmente de fait notre exposition à la vulnérabilité et que l’importance croissante de la place des réseaux sociaux dans la façon dont la jeunesse expérimente la rencontre peut être constitutive de certains dangers et donc limiter les moyens donnés aux jeunes personnes handicapées d’expérimenter leur intimité, de se découvrir et d’accéder à des occasions de rencontre ou de satisfaction plus promptes quand cette possibilité est permise aux personnes valides.
Malgré l’apparente futilité découlant d’une telle réflexion, cette inégalité d’accès à l’épanouissement ou au plaisir me semble constituer une injustice d’envergure et de surcroit traduisant des atteintes non-justifiée à l’ensemble des droits humains en matière de sexualité et à la liberté d’aller et venir. Il me semble donc que l’assistance sexuelle puisse constituer une réponse à cette problématique et que le recours à un professionnel, à une relation répondant à un cadre légal et éthique puisse donner aux personnes handicapées un sentiment de sécurité accru.
Sans intention ni volonté aucune de prôner l’assistance sexuelle comme la solution miracle à l’ensemble de ces problématiques, je considère néanmoins celle-ci comme une solution possible, une option devant être laissée au libre arbitre des personnes inscrite dans le respect de leur liberté individuelle car leur donnant un accès au droit de choisir.
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