Aux suites de la diffusion du reportage "Les dossiers noirs du handicap" en fin de semaine dernière, nous avons pu assister à plusieurs reprises dans la presse à des tentatives, à juste titre, de la part des associations, de justifier les difficultés vécues au sein des établissements accueillant des personnes handicapées en grande partie par le manque de moyens.
Si cet argument connait une pertinence indiscutable aux vues de notre système de santé connaissant depuis des années une crise d'une ampleur impressionnante, peut-on sortir encore et toujours cette justification à la moindre dérive?
Au cœur de ce documentaire furent pointées les nombreuses difficultés vécues au quotidien par beaucoup de familles de personnes en situation de handicap. Dysfonctionnements de l'école inclusive, scandale d'État sur les aides sociales, manque de places au sein des instituts... et maltraitances.
Délabrement, insalubrité, incendies, faute de mises aux normes.. La première réalité dénoncée par le reportage est, elle, bien le reflet de l'intolérable manque de moyens accordés par les pouvoirs publics à la question du handicap. Des chutes de cheminées à celles des résidents, pièces condamnées et bâtiments en débris, sur ce plan l'absence de préoccupation constante des gouvernements successifs au sujet du handicap et dénoncée à de multiples reprises se veut, à l'évidence, au combien condamnable.
Néanmoins…
J’ai pu lire sur le net l’indignation de certaines associations.
J’ai pu lire que la maltraitance intervenait, lorsque le système était « défaillant ».
J’ai également pu lire que certains semblaient insinuer que les faits dénoncés étaient considérés comme des « effets de la crise » et que les solutions d’accompagnement perduraient « au prix de la qualité des soins ».
S'il s'avère que ce désintérêt pour la question des conditions de vie des personnes vivant en instituts donne lieu à la violation de leur dignité, il est clair, aux vues des effroyables constats établis par les familles de jeunes handicapés lors de leurs retours à domicile, qu'il ne s'agit pas exclusivement d'une question de moyens.
Sur les images, un enfant handicapé, subissant de lourds problèmes de déglutition pouvant le mener à l'étouffement, laissé à lui-même dans une chambre insalubre. Sur les images, des refus de la part des responsables de laisser les parents visiter les établissements.
Mais par-dessus tout...
Ce documentaire aborde une autre dimension non moins indignante, une dimension qui ne devrait en aucun cas, et à aucun moment, exister. Peu importe sa rareté et peu importe qu'elle ne soit pas une généralité.
Les maltraitances, en particulier dans le milieu du soin, n'ont pas lieu d'être.
Il est en tout point intolérable de voir des enfants revenir de centres spécialisés avec des hématomes, des bleus sur les bras, des gants dans les selles.
Il est intolérable de lire des attestations faîtes sur l'honneur par des salariés, dénonçant des problèmes de malnutritions, témoignant de maltraitances. Plusieurs mains courantes ont même été adressées à un établissement accusant celui-ci de mentir aux parents sur les circonstances des blessures subies par leurs enfants.
Les employés, de leur côté, dénoncent les étonnantes pratiques de certains membres des personnels. Nous restons en effet profondément heurtés par cette histoire d’infirmières qui, selon les dires d’une ancienne salariée, auraient déposé du chocolat au sol pour faire rentrer des résidents dans un établissement, outre son témoignage rapportant des insultes et des rabaissements administrés à certains.
Une fois encore et les associations ont raison d'appuyer sur cette intolérable réalité, il va sans dire que les défaillances sont dues, pour la majeure partie d’entre elles, à la crise sanitaire d'envergure connue depuis des années par les professionnels de santé. Il va sans dire que ces métiers indispensables à la survie et au bien-être de l'homme mériteraient une rémunération à la hauteur de leur utilité. Il va sans dire que les pouvoirs publics ont le devoir de donner à ces derniers les moyens d'accomplir leurs missions. Il va sans dire que ces professions demeurent sous-payées et connaissent des conditions d'exercice difficiles comme le dénoncent à juste titre les organismes à but non lucratif.
Néanmoins, est-il toujours pertinent de parler d'argent dans le domaine du soin où bien-être et dignité des personnes devraient primer en toute occasion? Peut-on toujours dédouaner l'intolérable par la crise? N'est-il pas une réalité d’omettre systématiquement les questions de compétences par préférence économique ?
Car oui, la personne humaine, sans considération de son handicap ou de ses difficultés, dispose de droits fondamentaux qu’il convient de faire respecter par nos institutions.
En effet, au niveau légal, l’article R311-35 du Code de l’action sociale et des familles impose que le règlement de fonctionnement d’un établissement médico-social prévoie « les mesures relatives à la sûreté des personnes et des biens », ainsi que « les mesures à prendre en cas d’urgence ou de situations exceptionnelles »
Concrètement, la première responsabilité revient au gérant de l'établissement à qui incombe d'assurer la sécurité et le bien-être des résidents.
De plus, la loi prévoit à l'article D312-21 du CASF la composition de l'équipe médicale de l'établissement comprenant notamment : "4 °[..] Un infirmier ou une infirmière ;5° Selon les besoins des enfants, notamment des kinésithérapeutes, orthophonistes, psychomotriciens ; 6° En fonction des besoins, un médecin ayant une compétence particulière en neurologie, en ophtalmologie, en audiophonologie ou en rééducation et réadaptation fonctionnelle."
La disposition suivante, à savoir l'article D312-22 liste les différentes obligations de l'équipe soignante de mettre "en œuvre les composantes thérapeutique et rééducative du projet individualisé d'accompagnement de l'enfant ou de l'adolescent" et d'assurer "la surveillance de la santé des enfants ou adolescents en coordination avec leur médecin de famille ;".
Au niveau pédagogique le CASF prévoit la composition d'une "équipe pédagogique et éducative comprenant selon l'âge et les besoins des enfants : 1° Des enseignants mentionnés dans l'arrêté prévu à l'article D. 351-20 du code de l'éducation dont la rémunération est prise en charge par l'Etat en application de l'article L. 351-1 du même code ;2° Des éducateurs assurant des actions orientées vers le développement de la personnalité et la socialisation des enfants et adolescents."
Enfin, l'article L311-3 du CASF met en place un certain nombre de droits fondamentaux reconnus aux personnes accueillies au sein des établissements médico-sociaux. En vertu de ce texte, en effet, le résident a droit au "respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité et de sa sécurité", à une "prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité adaptés à son âge et à ses besoins, respectant un consentement éclairé", à une information sur ses droits fondamentaux , une information sur "tout documents relatif à sa prise en charge", et à la confidentialité des informations le concernant.
Aux vues de la gravité des constats établis par les parents au sein de ce documentaire, il semble légitime de se poser la question : la dignité de la personne est-elle toujours respectée?
Les métiers du soin et de l'accompagnement sont sujets à une responsabilité particulière. Les professionnels et dirigeants d'établissements sont ainsi garants non seulement de la prise en charge des personnes dans des conditions dignes mais également garants de leur intégrité corporelle. En droit français, de par l'héritage des valeurs inculquées par la société chrétienne et conformément à la volonté de protéger les personnes contre les atteintes portées au corps, celles-ci sont systématiquement réprimandées. Il s’agit d’un principe absolument fondamental : on ne touche pas, en aucun cas, à l'intégrité physique.
Un autre aspect, que j’ai également pu découvrir dans la presse, a particulièrement attiré mon attention.
En effet, nous avons été informés d’une stratégie lancée par le gouvernement à partir de fin 2025 en matière de facilitation du signalement, mais aussi visant à rendre systématique « la vérification des antécédents judiciaires de tous les intervenants qui accompagnent les personnes vulnérables - professionnels comme bénévoles ».
Pardonnez-moi, mais je peine à saisir le sens véritable de cette annonce…
Celle-ci signifierait que les textes actuels n’auraient pas déjà pour effet de systématiser la vérification des antécédents judiciaires des accompagnants de personnes vulnérables ?
Cela signifierait que l’absence de tels antécédents ne serait pas à l’heure actuelle, considérée comme un critère de sélection dans un domaine nécessitant de prodiguer des soins et de porter à l’autre une attention toute particulière ?
Mais plus sérieusement, de qui se moque-t-on ?
Si le manque de moyens est une réalité qu'il convient de prendre en compte à sa juste valeur et s'il est nécessaire de souligner la difficulté des conditions de travail des personnels médicaux et médico-sociaux, la responsabilité de l'ensemble des acteurs est aussi celle de dire que le manque de moyens ne justifie en aucun cas que des mauvais traitements soient infligés aux personnes.
Le manque de moyens n'excuse pas la violation des droits fondamentaux. Le manque de moyens n'est pas une explication au non-respect de la dignité humaine. Le manque de moyens n'est pas l'affaire des personnes handicapées et vulnérables qu'il convient de protéger. Le manque de moyens n'est pas une arme destinée à fermer les yeux, bien que ce soit bien souvent le cas. Le manque de moyens n'est de nature à expliquer ni les blessures, ni les ustensiles retrouvés dans les selles, ni le refus de recevoir les parents dans les établissements.
Sans nulle volonté de jeter la pierre et d’engager la responsabilité d'un acteur plutôt qu'un autre, je pense, en connaissance de cause, incorrect d'apporter une seule et même explication à un problème d'une telle envergure. La responsabilité, en matière d'atteintes corporelles justifiées par un manque de moyens, est bien souvent une affaire collective. Nul n'a le droit de prétendre le contraire.
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